“Est-ce que vous buvez?” est une entrée en matière de toute forme de socialisation courtoise. Que ce soit avec vos ami(e)s, vos collègues, vos beaux-parents, l’alcool joue un rôle prépondérant dans vos relations de la vie de tous les jours.
La relation des Japonais à l’alcool est diamétralement opposée à celle des Français. Sa signification et son mode de consommation n’ont pas le même sens, le même objectif, ou encore la même valeur car il fait partie intégrante, historiquement parlant des mœurs japonais.

Partir sur une étude anthropologique concernant le sujet serait prétentieux de ma part donc j’ai décidé d’énumérer et de mettre en relief par des exemples ces différences.
















Boire en groupe (toujours)

飲み会

Le nomikai (Japonais: 飲み会) est le phénomène qui consiste à avoir une réunion pour boire. Nomikai vient du verbe nomu (飲む) qui signifie "boire" et kai qui signifie "rencontrer/se rencontrer". Ce qui littéralement signifie "se rencontrer pour boire". Les nomikai sont une partie de la culture et nombreux sont les endroits qui s’y prêtent, des écoles au boîtes de nuit. Ils se Ces réunions se tiennent souvent dans les restaurants ou izakaya, chacun étant assis autour d’une grande table ou occupant des boxes séparés.

Bien que ça ne soit pas expressément obligatoire, il est admis que les employés participent à divers nomikai, du fait que les nomikai sont considérés comme le prolongement d’un aspect social du travail. De telles manifestations se focalisent sur les liens entre les collègues d’un même groupe, et ne sont pas liés à des évènements privés ou liés au travail.

La présence n'implique pas nécessairement qu'une personne boive n'importe quel alcool et les participants payent généralement un forfait pour le repas, les boissons et le lieu quelque soit la quantité consommée. L'argent en surplus est mis de côté pour organiser le prochain nomikai.



















Le nijikai (Japonais : 二次会) est la fête qui se tient après le nomikai. Après que le nomikai se termine, les participants se scindent parfois en petits groupes et se déplacent en divers débits de boissons. Comme il n'est pas obligatoire pour tous les participants de continuer par un nijikai, ne s’y regroupent que des personnes désireuses de prolonger la soirée entre elles. Cette démarche consitue une sorte d’ »after ». Le fait de boire après le nijikai s'appelle sanjikai (三次会) et peut être considéré comme l’after de l’after ».

Il est absolument normal et ça ne pose pas de problème d'être complètement ivre durant les nomikai. De la même façon, les choses qui auront été dites ou faites durant ces circonstances ne sont pas prises sérieusement, sont pardonnées, ou sont ignorées lors du retour au lieu de travail. Par conséquent, il y a parfois des démonstrations franches et émotionnelles entre collègues, qui affranchissent les barrières sociales ou hiérarchiques, ce qui n'aurait jamais lieu dans un contexte professionnel et sur le lieu de travail. Le phénomène est appelé bureikô (無礼講) en japonais.
















コンパ

Konpa (コンパ) désigne un type d'évènement organisé par les étudiants dans un établissement traditionnel habituel appelé Izakaya, qui consite à se réunir et à boire. Le konpa est différent du traditionnel nomikai puisqu'il est nettement plus décontracté. Il est pensé que le mot serait à l'origine issu du mot allemand "kompanie", anglais "company" ou français "compagnie", bien que les racines véritables du mot soient inconnues. Ces rencontres ont pour but de développer l'amitié ou approfondir les relations avec les membres du même groupe ou avec le sexe opposé

















a) Konpa de bienvenue pour une nouvelle recrue (en japonais: Shinnyuusei Kangei Konpa (新入生歓迎コンパ) ou abbrégé Shinkan Konpa (新歓コンパ)

Lorsqu'un nouvel étudiant rentre dans une organisation étudiante, un club, une équipe de sport, et/ou un dortoir, il est habituel qu'une fête ait lieu pour intégrer la nouvelle recrue, et la présenter au groupe. Un konpa de bienvenue est donc organisé à son intention, où on lui sert des boissons gratuitement. C'est une opportunité pour la nouvelle recrue de rencontrer les membres de l'organisation dans un environnement socialement protégé et sans risque. Le coût des boissons consommées par les nouvelles recrues est divisé équitablement entre les membres présents ou est réglé par les fonds de l'organisation ou les anciens élèves. Comme beaucoup de nouvelles recrues n'ont pas beaucoup d'expérience dans la consommation d'alcool, le shinkan konpa est l'initiation à la culture japonaise de la boisson et leur premier nomikai. Il est d’usage d’y tester la capacité d’absorption de la nouvelle recrue en l'encourageant à boire énormément ou en lui faisant vider son verre cul-sec (ikki).

b) Konpa de séminaire (en japonais: Zemi Konpa (ゼミコンパ)

Les japonais qui suivent durant deux ans un séminaire ou zemi , vont souvent ensemble avec leurs professeurs boire un verre après des cours de fin de cycle. Il est commun pour le professeur de régler l'addition entière ou au moins une grande part de celle-ci. Des anciens élèves du zemi participent et proposent des conseils de recherche d'emploi. Un "konpa de thèse de fin d'étude" (Sotsugyou Ronbun Uchiage Konpa, abrégé: Sotsuron Uchiage Konpa) est aussi tenu par les étudiants après qu'ils aient fini de présenter leur thèse.

c) Konpa d'adieu

En japonais: Oidashi Konpa (追い出しコンパ?) ou abrévié Oikon (追いコン)
Avant que les étudiants en fin d’études passent leurs examens, le groupe auquel ils sont affiliés sur le campus (habituellement des zemi ou des clubs divers) organisent souvent un konpa d'adieu à leur profit. Dans ce cas, les intéressés ne règlent pas l'addition.

d) Konpa collectif

En japonais: Goudou Konpa (合同コンパ) ou abbrévié Gôkon (合コン)
Gôkon est une fête pour ceux qui cherchent à établir une relation avec le sexe opposé, et est similiaire à la pratique occidentale de "blind dating" (rendez-vous aveugle). La composition habituelle est de 4 garçons et 4 filles, ou 3 garçons et 3 filles, bien qu'il y ait occasionnellement des gôkon plus importants organisés avec 20 personnes de chaque sexe. Il y a habituellement un homme qui organise cela avec ses amis, et une fille qui ramène ses amies. Il est habituel pour des étudiants d'une école d'avoir un gôkon avec les étudiants d'une autre université.

e) Konpa pour le sexe

En japonais: Yarikon (ヤリコン)
Il y a des cas où les deux parties organisent un konpa en espérant s'engager dans des relations sexuelles à la fin du konpa, soit à la maison, au dortoir ou dans un love hotel (hôtel de charme). Dans le cas où les participants souhaitent une relation sexuelle plutôt qu'une relation sérieuse, les konpa s'appelle un yarikon. Ce mot est dérivé de l'argot japonais "yaru" qui signifie "avoir du sexe", et de kon pour konpa.
















4. Jeux à boire

Pour garder le konpa attrayant ou pour augmenter la consommation collective d'alcool, il est habituel pour les participants de se livrer à des jeux à boire. Bien que la plupart des jeux soient simples, ils deviennent de plus en plus compliqués au fur et à mesure que les participants deviennent de plus en plus saoûls. Les jeux les plus connus sont :

a) Le jeux de la ligne de Yamanote

En japonais: Yamanote-sen Geemu (山手線ゲーム)
Ce jeu commence avec les participants qui se mettent à marcher en cercle en nommant toutes les stations de la ligne Yamanote. Même si une catégorie différente est nommée le jeu est toujours appelé Yamanote-sen Geemu. Chaque participant doit répondre dans un rythme en tapant dans les mains, et doit boire s'il ne peut pas donner de réponse ou s'il donne une réponse dans la mauvaise catégorie.

b) Le Jeu où il ne faut pas rire

En japonais: Waraccha Ikenai Geemu (笑っちゃいけないゲーム)
Le jeux où il ne faut pas rire est très similaire au Yamanote-sen Geemu, mais les participants sont autorisés à répéter la même réponse qu'un autre participant. Le but du jeu est de faire rire quelqu'un du groupe. Celui qui rit doit boire.

c) Pin-Pon-Pan

En japonais: Pin Pon Pan (ピンポンパン)
En suivant le sens des aiguilles d'une montre, le premier participant dit "pin", le second "pon" et le troisième "pan" en désignant quelqu'un d'autre dans le groupe. Celui qui est désigné doit dire "pin" et on recommence dans le sens des aiguilles d'une montre. Celui qui fait une erreur doit boire.

d) Jeu de Pocky

Pocky est la marque japonaise à l'origine des Mikado de Lu
En japonais: Pokkii Geemu (ポッキーゲーム)
C'est un jeu à deux, mais plusieurs personnes peuvent participer en même temps par binôme. La seule chose dont on a besoin est d'une boite de Pocky (de longues baguettes de biscuit enrobées de chocolat au bout). Chacun des deux participants doit grignoter le même pocky en partant de l’une de ses extrêmités. La première personne dont la bouche se désolidarise du Pocky a perdu. Si les joueurs finissent par s’embrasser sur les lèvres, c'est un match nul. Ce jeu est très populaire durant les gôkon.

e) Le jeu du roi

En japonais: Ousama Geemu (王様ゲーム)
Tous les participants doivent tirer au sort une feuille de papier, sur une desquelles est indiqué le mot "roi". Similaire au jeu "action ou vérité", celui qui tire le papier "roi" devient le roi et doit donner des ordres à n'importe quel membre du groupe que ce dernier doit exécuter. Une fois que l'ordre a été accompli, les papiers sont mélangés et un nouveau roi est désigné.

Problèmes dus à l’alcool

Chez les jeunes, la consommation d'alcool à un âge de plus en plus précoce et l'habitude de boire jusqu’à l’ivresse sont particulièrement alarmantes. Presque 10 % des jeunes entrent dans la catégorie des buveurs à problème. Au Japon, boire jusqu'à l'ivresse est pratique courante.

Actuellement, le principal problème de santé publique à Tokyo est la consommation croissante d'alcool. Le coût social de l'alcoolisme au Japon s'élève à environ 6 600 milliards de yens, ce qui représente 2 % du PNB. Aussi la boisson ne se contente-t-elle pas d'entraîner des problèmes de santé, mais constitue un lourd fardeau pour la société tout entière.

L'alcoolisme au féminin a connu également une forte progression au cours des vingt dernières années. Selon une enquête réalisée au cours de la période 1967-1987, le nombre de femmes s'adonnant à la boisson s'est multiplié par deux ou trois, et ce dans toutes les classes d'âges.
















Conclusion

Malgré les problèmes moraux et de santé publique qu’il soulève, l’alcool apparaît comme un exutoire quand ce n’est pas un désinhibiteur dans le cadre duquel s’équilibrent des relations sociales qui au naturel ne s’exprimeraient pas aussi spontanément. Toutes les fêtes et célébrations sont prétextes pour se réunir et boire, Hanabi, Hanami, Matsuri, Fête de la musique…et contribuent à permettre aux japonais d’extérioriser, d’évacuer le stress quotidien, de sortir de la routine.

Les autorités japonaises, pour pallier la recrudescence des accidents de circulation dus à l’alcool mais aussi pour endiguer le phénomène « d’alcoolisation » chez les jeunes, mènent depuis quelques années de nombreuses campagnes citoyennes.

Pourtant, la consommation d’alcool au Japon ne devrait pas connaître de changements, cette dernière est bien, trop ancrée dans les moeurs.
« à consommer avec modération » n’est bel et bien pas à l’ordre du jour.

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